Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette négation de toute pensée, et il m’est resté, contre cette puissance des mathématiques exclusive et jalouse, le même sentiment, la même horreur qui reste au forçat contre les fers durs et glacés rivés sur ses membres, et dont il croit éprouver encore la froide et meurtrissante impression quand il entend le cliquetis d’une chaîne. Les mathématiques étaient les chaînes de la pensée humaine. Je respire, elles sont brisées ! »

L’amertume de ces souvenirs, la vivacité de ces rancunes, en révélant la violence de la compression exercée sur les esprits de cette génération, expliquent en même temps l’épanouissement poétique qui marqua les premières années de la restauration. Toutes ces idées contenues, tous ces sentiments refoulés se faisaient jour, toute cette poésie enfouie, pour ainsi dire dans les âmes, pendant une période qui n’aurait eu pour elle qu’indifférence, haine ou dédain, en jaillissait à la fois. L’ébranlement imprimé aux intelligences par les événements aussi extraordinaires qu’imprévus qui changeaient la face du monde, favorisait encore cet essor de la poésie. Enfin, ce qu’il y avait de merveilleusement moral dans ce retour inespéré du droit prévalant contre la force, cette empreinte du doigt de Dieu qui apparaissait à la fin de ce chapitre de l’histoire de la révolution qui avait prétendu exiler Dieu des choses humaines, ce rapprochement de circonstances terribles et consolantes qui mêlaient la terreur à l’espoir et la joie à la tristesse ; tout, en un mot, concourait à la résurrection de la poésie. Aussi voit-on,