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doué d’entre eux, M. de Lamartine, que nous allons rencontrer sur le premier plan du tableau que nous avons à peindre, a exprimé avec une grande énergie la révolte de ces jeunes âmes d’élite contre une époque où le sabre, qui croit vaincre l’idée parce qu’il oblige la tête à se courber, était le grand moyen de gouvernement, et où le compas du géomètre prétendait mesurer l’esprit et le cœur de l’homme, assez vastes pour contenir la pensée et l’amour de Dieu.

« Je me souviens, dit-il[1], qu’à mon entrée dans le monde, il n’y avait qu’une voix sur l’irrémédiable décadence, sur la mort accomplie et déjà froide de cette mystérieuse faculté de l’esprit humain qu’on appelle la poésie. C’était l’époque de l’empire, c’était l’heure de l’incarnation de la philosophie matérialiste du dix-huitième siècle dans le gouvernement et dans les mœurs. Tous ces hommes géométriques, qui seuls avaient alors la parole et qui nous écrasaient, nous autres jeunes hommes, sous l’insolente tyrannie de leur triomphe, croyaient avoir desséché pour toujours en nous ce qu’ils étaient parvenus en effet à flétrir et à tuer en eux, toute la partie morale, divine, mélodieuse de la pensée humaine. Rien ne peut peindre, à ceux qui ne l’ont pas subie, l’orgueilleuse stérilité de cette époque. C’était le sourire satanique d’un génie infernal quand il est parvenu à dégrader une génération tout entière. Ces hommes avaient le même senti-

  1. Des Destinées de la poésie, par M. de Lamartine (écrit en 1834).