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secret vers ce personnage extraordinaire ; il éprouve la curiosité d’un homme supérieur à l’égard d’un homme de génie ; il ouvre même une négociation afin d’obtenir une audience de lui et de lui parler des intérêts du roi de Piémont. Qui peut pénétrer les vues de la Providence ? Peut-être les destinées de la maison de Bourbon sont-elles fermées ! Peut-être un ordre de choses nouveau doit-il s’élever en France ! Cette idée, toujours repoussée, se présente plus d’une fois à l’esprit du comte de Maistre dans cette longue période de douze ans qui s’écoulent pour lui en Russie, de 1802 à 1814 ; c’est comme une tentation intellectuelle qui revient d’année en année. Mais la confiance dans le retour des Bourbons et dans la puissance du principe monarchique est la plus forte, et d’ailleurs M. de Maistre est d’avis que, tant que la maison royale existe, il faut faire son devoir. « L’Europe est à Bonaparte, s’écrie-t-il quelque part, mais nos cœurs sont à nous. » Belle parole qui marque la limite suprême où commence l’impuissance du pouvoir le plus absolu, le dernier droit qui reste inviolable quand tous les autres sont violés, le devoir qu’il est toujours possible de remplir, et que par conséquent il n’est jamais permis de déserter ! C’est le mot de la vierge chrétienne livrée aux insultes du gladiateur : alors même qu’elle ne possède plus son corps, son âme est à elle, et elle la donne à Dieu. Du reste, Joseph de Maistre voit Bonaparte travailler sans le vouloir, sans le savoir, à une restauration nécessaire à la France et à l’Europe. Sans doute, c’est à son