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les antagonistes de ses idées, était le plus tendre des pères. Sa correspondance nous révèle l’homme que ses livres nous avaient caché ; il exprime partout, dans ses lettres, le vide profond que laisse dans son âme l’absence de sa famille.

« — Des idées poignantes de famille me transpercent, » écrit-il de Saint-Pétersbourg à la date de 1806. « Je crois entendre pleurer à Turin ; je fais mille efforts pour me représenter la figure de cette enfant de douze ans, que je ne connais pas. Je vois cette fille orpheline d’un père vivant. Je me demande si je dois un jour la connaître. » Plus tard, il lui écrit à elle-même d’une manière plus pathétique encore[1] : «  Parmi toutes les idées qui me déchirent, celle de ne pas te connaître, celle de ne te connaître peut-être jamais, est la plus cruelle. Je t’ai grondée quelquefois ; mais tu n’en es pas moins l’objet continuel de mes pensées. Mille fois j’ai parlé à ta mère du plaisir que j’aurais de former ton esprit ; je n’ai pas de rêve plus charmant, et quoique je ne sépare point ta sœur de toi dans les châteaux en Espagne que je bâtis sans cesse, cependant il y a toujours quelque chose de particulier pour toi, par la raison que tu dis : parce que je ne te connais pas. Tu crois peut-être, chère enfant, que je prends mon parti sur cette abominable séparation. Jamais, jamais, jamais ! Chaque jour, en rentrant chez

  1. Dans une lettre écrite le 18 décembre 1810, et datée de Saint-Pétersbourg.