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lointains montent jusqu’à lui. Au sortir de ces lectures, M. Villemain laissa plus d’une fois entrevoir dans d’intimes conversations avec le grand maître de l’université, déjà inquiet de l’avenir, en présence de l’empire à son déclin, ses prédilections mêlées d’espérances pour un gouvernement parlementaire qui introduirait en France ce régime de libre débat. M. de Fontanes, arrivé à l’âge où l’on a plus de souvenirs que d’espérances, grondait alors doucement son élève chéri : « Allons, lui dit-il un jour, vous vous gâterez le goût avec toutes ces lectures. Que feriez-vous sous un gouvernement représentatif ? Bédoch vous passerait. » Bédoch[1], c’était l’utile, le positif, quelque chose comme la commission du budget ; M. Villemain, c’était l’agréable, le brillant, l’esprit dans ce qu’il a de plus fin et de plus élevé, mais qui, par cette élévation et cette finesse même, n’est pas d’un usage aussi courant sous le gouvernement représentatif que l’esprit des affaires. Bédoch, c’était la prose de l’intelligence ; M. Villemain en était la poésie.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’éloignement qu’on témoignait pour l’empereur, dans le petit centre intellectuel dont nous avons essayé d’indiquer les tendances, ne tenait pas à l’esprit de parti : l’idée rendait à l’épée les sentiments que l’épée avait pour elle. En général, les conquérants n’aiment point les idéologues, selon un mot bien connu, et ils comprennent,

  1. M. Bédoch était auditeur au conseil d’État.