Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les formes littéraires ont naturellement subi l’influence de cette progression, et cette redoutable polémique, qui s’est prolongée pendant trois siècles, en traversant des milieux différents, pour venir enfanter la révolution française qui dure encore, a tout marqué de son sceau.

Ici se présente une distinction nécessaire : il ne faut pas que les excès du rationalisme fassent proscrire la raison. Il y a autant de dangers à l’anéantir qu’à la couronner. L’homme est une créature raisonnable ; c’est là son tourment, mais c’est là aussi sa gloire, car c’est par là qu’au lieu d’être seulement l’ouvrage de Dieu, il est fait à son image. Croire que la raison humaine est tout, peut tout et sait tout, c’est nier Dieu, qui est au-dessus de son essence, de son pouvoir et de sa science ; croire que la raison n’est rien, c’est nier l’homme et le ramener, par un autre excès, à l’oubli de tous ses droits comme de tous ses devoirs. Que l’on y songe, en effet, ce n’est que par un acte de sa raison que l’homme peut reconnaître que sa raison est bornée. L’effort par lequel il incline sa raison devant les lois essentielles en religion, en philosophie, en politique, est un acte éminemment raisonnable. La bête subit les lois de Dieu ; l’homme, et c’est là sa grandeur, s’y soumet. Malheureusement, dans les trois phases dont il s’agit, la raison ne demeura pas dans les limites d’une sage réserve ; elle ne se souvint pas qu’elle était bornée. Non-seulement elle crut en elle-même, mais elle ne crut qu’en elle-même, comme si elle était antérieure et supérieure à