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il leur témoigna, en toute occasion, cette antipathie. Sans doute, les métaphysiciens sensualistes étaient les moins redoutables pour un pouvoir dictatorial, car le sensualisme s’accommode du pouvoir absolu ; mais ils remuaient dans leurs recherches les questions fondamentales avec un esprit d’examen : c’était assez pour qu’un pouvoir, peu favorable d’ailleurs à l’esprit d’examen, les craignît. En outre, il faut se rappeler que la plupart des chefs de cette école avaient été dans les rangs des conducteurs d’idées avant 89, et que leurs théories politiques n’étaient point celles du maître. Enfin, ils aspiraient à devenir le clergé scientifique du nouvel ordre social. Or, le premier consul, bientôt après empereur, ne consentait à souffrir aucune autre influence intellectuelle que la sienne ; il ne voulait point laisser se créer une force d’idées qu’il n’aurait point dans les mains. Sous l’empire, le sensualisme de Condillac continua donc à régner dans les opinions, mais il fut plutôt pratiqué que théoriquement professé. Une seconde fois, d’ailleurs, l’action détrônait la pensée ; la France qui, dans la première phase de la révolution, avait dépensé son immense activité au dedans, la dépensait au dehors, dans des guerres qui détruisaient ou ébranlaient tous les États ; elle agissait trop pour méditer.

Pendant cette espèce de suspension de l’enseignement philosophique, il se fit chez plusieurs des esprits les plus élevés de l’école sensualiste un travail qui prépara la décadence de cette école. Ce qui avait surtout