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LORELY.

l’écusson néerlandais. On n’a rien de mieux à faire alors que de s’attabler pour plusieurs heures dans la cajute, avec la certitude d’échapper aux prescriptions sévères du vendredi belge. La viande protestante s’étale sous toutes les formes, et, toujours trop peu cuite pour nous, inonde de son sang les pommes de terre de Dordrecht. On laisse à gauche Flessingue, à droite Berg-op-Zoom en fredonnant la vieille chanson française : C’ti-là qu’a pincé Berg-op-Zoom, et l’on se fatigue peu à peu de ces méandres de bras de mer et d’embouchures de fleuve qui découpent la Zélande en guipures, À la hauteur d’un certain fort qui doit s’appeler Loo, le pavillon belge nous avait salués une dernière fois. — Puis nous avions retrouvé nos couleurs françaises, disposées en longueur et non plus en largeur. — Les douaniers des Pays-Bas inspectent les bagages et les marquent d’un crayon blanc. Puisse-t-il nous porter bonheur comme la craie dont les Latins marquaient les jours heureux !

Il n’y a rien à tirer de cette mer bourbeuse côtoyée de berges vertes où apparaissent çà et là les grands bœufs de Paul Potter, que n’étonne plus le passage du steamboat, ni sa trace d’écume, ni son panache de fumée. Parfois le roulis nous apprend que nous tournons sur un bras de mer. Ailleurs, une branche de l’Escaut ou de la Meuse offre à la navigation des difficultés toujours vaincues. On frôle en passant ou l’on courbe des bois marins, de frêles genévriers qui s’amusent à verdir dans dix pieds d’eau, et qui secouent leurs panaches après notre passage comme des chats qui font leur toilette après avoir traversé un ruisseau. — Toujours sur les berges, souvent à peine perceptibles, des maisons peintes, des fabriques ou des moulins d’une carrure imposante, égratignant l’air de leurs grandes pattes d’araignées embarrassées dans les toiles ! La cloche annonce enfin Dordrecht, et nous passons si près des quais, que nous voyons très-bien les femmes dans leurs maisons de briques, nous inspectant à leur tour dans ces miroirs placés au dehors des fenêtres, qui concilient leur curiosité naturelle avec leur