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lorely.

le repas, il était resté une demi-heure encore à causer sur la théologie avec un ecclésiastique. Toute la ville est remplie de ce drame, et les habitants n’ont guère d’autres récits à faire aux étrangers. On nous conduisit encore au cimetière, où la victime et l’assassin reposent dans la même enceinte. Seulement, Carl Sand est enterré dans un coin, et la place où furent déposés son corps et sa tête n’a d’autre ornement qu’un prunier sauvage. Pendant longtemps, ce fut, nous dit-on, un lieu de pèlerinage, où l’on venait de toute l’Allemagne ; le prunier était dépouillé de toutes ses feuilles et de toutes ses branches à chaque saison.

La tombe de Kotzebue avait eu aussi ses fidèles moins nombreux. C’est un monument de pierre grise d’une apparence bizarre. Une pierre carrée qui le surmonte, posée sur un de ses angles, est soutenue par deux masques antiques qui expriment la douleur. Le tout a un aspect de tombeau païen, qui convient assez aux mânes philosophiques du voltairien Kotzebue. On ne peut douter qu’il n’y ait eu dans l’action de Carl Sand beaucoup de fanatisme religieux.

Nous remontâmes en voiture à la porte du cimetière pour nous diriger vers Heidelberg, où nous devions coucher. La soirée était charmante après une belle journée d’automne ; la foule bigarrée rentrait déjà dans la ville, abandonnant les jolies maisons de campagne, les jardins publics, les cafés et les brasseries ; la plupart nous saluaient sans nous connaître, comme c’est l’usage dans le pays de Bade, et ce tableau du retour en ville d’une population calme et bienveillante, qui avait assurément bien employé sa journée, nous faisait penser à Auguste Lafontaine et à Gessner. Pourtant mon compagnon ne pouvait s’arracher au souvenir sanglant de Carl Sand. Il venait de voir le cimetière, il voulait encore voir le lieu de l’exécution, tant c’est un fidèle voyageur et un fidèle historien. On nous avait bien dit que nous rencontrerions, au sortir de Mannheim, une grande prairie verte, à gauche, et que c’était là ; mais rien n’indiquait le lieu particulier du sacrifice. Nous n’osions