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lorely.

d’aspect dix fois dans la journée, sous les fantasques variations de la lumière et des brouillards.

Vous décrirai-je tout cela ? C’est inutile. Ouvrez Gessner, ce tableau se lit à toutes les pages ; mais il faut le voir en effet pour imaginer qu’il existe et qu’il n’a point été rêvé. Après cela, transformez les habitants en bergers de l’idylle, et vous n’aurez pas fort à faire, un dimanche surtout. Tenez, quelque plaisir que nous ayons à dépoétiser toutes choses, nous n’échapperons pas aux impressions du livre et du théâtre, et toute notre consolation sera de croire que nous n’avons ici que de la pastorale arrangée après coup, que le grand-duc de Bade est un habile directeur qui a machiné tout son pays, comme nous disions hier, dans le but d’une illusion scénique, et qui s’est formé, en outre, une population de comparses pour animer la ville et la contrée. Voyez déjà la campagne se garnir d’une foule riante et bigarrée ; ces costumes ne sortent-ils pas des magasins de l’Opéra-Comique ? Est-il vraisemblable qu’on porte naturellement ces habits français à larges boutons miroitants, ces gilets rouges, ces tricornes, ces culottes, ces bas chinés ? Ne voilà-t-il pas lu M. le bailli, qui rêve à sa fameuse harangue :

Ainsi qu’Alexandre le Grand, à son entrée à Babylone, etc.


Ces paysannes aux vêtements coquets qui courent sur la route en se tenant par la main, ne les reconnaissons-nous pas pour les avoir vues folâtrer dans la prairie fraîche et fleurie, où dame jolie viendra s’asseoir ?

Mais justement n’est-ce pas aujourd’hui la fête du grand-duc de Bade (der Gross-Herzog von Baden) ? Hâtons-nous de descendre et d’aller prendre part à la joie publique.

Quelles réjouissances imaginer dans une ville perpétuellement en fête ? Le seul moyen de distinguer ce jour serait de n’en faire aucune, de supprimer les orchestres, les danses, les théâtres, les illuminations de tous les soirs. Mais peut-être