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lorely.

Je pourrais, attendant des fortunes meilleures,
Aller prendre ma place au bateau de six heures[1] ;
Ce qui m’avait conduit, plein d’un espoir si beau,
De l’hôtel du Soleil à l’hôtel du Corbeau ;
Mais, à Strasbourg, le sort ne me fut point prospère :
Éloi fils avait trop compté sur Éloi père…
Et je repars, pleurant mon destin nonpareil,
De l’hôtel du Corbeau pour l’hôtel du Soleil !

Ayant écrit ce billet, versifié dans le goût Louis XIII, et qui fait preuve, je crois, de quelque philosophie, je pris un simple potage à l’hôtel du Corbeau où l’on m’avait accueilli en prince russe. Je prétextai, comme les beaux du Café de Paris, mon mauvais estomac qui m’empêchait de faire un dîner plus solide, et je repartis bravement pour Bade, aux rayons du soleil couchant.


III — LES VOYAGES À PIED


Je vous préviens qu’une fois passé sur le pont de Kehl, qui balance sur le Rhin son chapelet immense de bateaux, après avoir payé le passage du pont aux douaniers badois et échangé mes gros sous français contre des kreutzers légèrement argentés, voilà que j’entre en pleine forêt Noire. Est-ce moi qui ai à redouter les voleurs ? est-ce moi que les voyageurs ont à redouter ?

Cette forêt n’a rien de bien terrible au premier abord ; du haut des remparts de Strasbourg, ou aperçoit sa verte lisière qui cerne des monts violets ; des villages riants se montrent dans les éclaircies ; les charbonneries fument de loin en loin. Les maisons n’ont pas un air trop sauvage ; les cabarets présentent cette particularité locale, que, quand vous demandez un verre d’eau-de-vie, on vous sert un verre de kirsch. Du moment qu’on s’est bien entendu sur ces deux mots, l’on vit avec eux en parfaite intelligence.

  1. Le bateau à vapeur du Rhin.