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LORELY.

de l’excellent tabac. Quoi ! une ville que rien n’agite, ni les regrets du passé, ni l’ambition du jour présent, ni les inquiétudes du lendemain ! une ville où les femmes sont belles sans art, où les philosophes parlent comme des poëtes, où les poëtes pensent comme des philosophes, où personne n’est insulté, pas même l’empereur, où chacun se découvre devant la gloire, où rien n’est bruyant, excepté la joie et le bonheur ! Voilà une merveilleuse découverte. Notre ami ne chercha pas autre chose. Il disait que son voyage avait assez rapporté. Son enthousiasme fut si grand et si calme, qu’il en fut parlé à M. de Metternich. M. de Metternich voulut le voir et le fit inviter à sa maison pour tel jour. Il répondit à l’envoyé de Son Altesse qu’il était bien fâché, mais que justement, ce jour-là, il allait entendre Strauss, qui jouait avec tout son orchestre une valse formidable de Liszt, et que, le lendemain, il devait se trouver au concert de madame Pleyel, qu’il devait conduire lui-même au piano, mais que, le surlendemain, il serait tout entier aux ordres de Son Altesse. En conséquence, il ne fut qu’au bout d’un mois chez le prince. Il entra doucement, sans se faire annoncer ; il se plaça dans un angle obscur, regardant toutes choses et surtout les belles dames ; il prêta l’oreille sans mot dire à l’élégante et spirituelle conversation qui se faisait autour de lui ; il n’eut de contradiction pour personne, — il ne se vanta ni des chevaux qu’il n’avait pas, — ni de ses maisons imaginaires, — ni de son blason, — ni de ses amitiés illustres ; il se donna bien de garde de mal parler de quelques hommes d’élite dont la France s’honore encore à bon droit. — Bref, il en dit si peu et il écouta si bien, que M. de Metternich demandait à la fin de la soirée quel était ce jeune homme blond, bien élevé, si calme, au sourire si intelligent et si bienveillant à la fois ; et, quand on lui eut répondu : « C’est un homme de lettres français, monseigneur ! » M. de Metternich, tout étonné, ne pouvait pas revenir d’une admiration qui allait jusqu’à la stupeur.

» Ainsi il serait resté à Vienne toute sa vie peut-être ; mais