Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/439

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LORELY
SOUVENIRS D’ALLEMAGNE




À JULES JANIN.


Cologne, 21 juin 1853.

Vous la connaissez comme moi, mon ami, cette Lorely ou Lorelei — la fée du Rhin, — dont les pieds rosés s’appuient sans glisser sur les rochers humides de Baccarach, près de Coblence. Vous l’avez aperçue sans doute avec sa tête au col flexible, qui se dresse sur son corps penché. Sa coiffe de velours grenat, à retroussis de drap d’or, brille au loin comme la tête sanglante du vieux dragon de l’Éden.

Sa longue chevelure blonde tombe à sa droite sur ses blanches épaules, comme un fleuve d’or qui s’épancherait dans les eaux verdâtres du fleuve. Son genou plié relève l’envers chamarré de sa robe de brocart, et ne laisse paraître que certains plis obscurs de l’étoffe verte qui se colle à ses flancs.

Son bras gauche entoure négligemment la mandore des vieux minnesingers de Thuringe, et entre ses beaux seins, aimantés de rose, étincelle le ruban pailleté qui retient faiblement les plis de lin de sa tunique. Son sourire est doué d’une grâce invincible, et sa bouche entr’ouverte laisse échapper les chants de l’antique sirène.

Je l’avais aperçue déjà dans la nuit, sur cette rive où la vigne