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DE PARIS À CYTHÈRE.

fants, le chasseur et la fille n’auront pas bougé ; — j’y reviendrai quand j’aurai le temps.


ix — SUITE DU JOURNAL


Voilà ma vie : tous les matins, je me lève, j’échange quelques salutations avec des Italiens qui demeurent à l’Aigle noir, ainsi que moi ; j’allume un cigare et je descends la longue rue du faubourg de Léopoldstadt. Aux encoignures donnant sur le quai de la Vienne, petite rivière qui nous sépare de la ville centrale, il y a deux cafés, où se rencontrent toujours de grands essaims d’israélites au nez pointu, selon l’expression d’Henri Heine, lesquels tiennent là une sorte de bourse, les uns en plein air, les autres, les plus riches, dans les salles du café. C’est là que l’on voit encore de merveilleuses barbes, de longues lévites de soie noire, plus ou moins graisseuses, et que l’on entend un bourdonnement continuel qui justifie l’expression du poëte. Ce sont, en effet, des essaims, mêlés d’abeilles et de frelons.

Il est bon, le matin, de prendre un petit verre de kirchenwasser dans l’un de ces cafés ; ensuite on peut se hasarder sur le pont Rouge, qui communique à la Rothenthor, porte fortifiée de la ville. Arrêtons-nous cependant sur le glacis pour lire au coin du mur les affiches des théâtres. Il y en a presque autant qu’à Paris. Le Burg-Theater, qui est la Comédie-Française de l’endroit, annonce quelques pièces de Gœthe ou de Schiller, le Corneille et le Racine du théâtre classique allemand ; ensuite arrive le Kœrtner-thor-Theater, ou théâtre de la Porte-de-Carinthie, qui donne soit du Meyerbeer, soit du Bellini ou du Donizetti ; après, nous avons le théâtre an der Wien (de la Vienne), qui joue des mélodrames et des vaudevilles généralement traduits du français ; puis les théâtres de Josephstadt, de Léopoldstadt, etc., sans compter une foule de cafés-spectacles, dont je t’ai parlé précédemment.

Une fois décidé sur l’emploi de ma soirée, je traverse la