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DE PARIS À CYTHÈRE.

vives, forcés de laisser la moitié du dîner, et trinque en paix avec les trois ou quatre habitués pensionnaires de l’établissement, qui ont encore une heure à rester à table. Satisfait de son idée, il s’informe, en outre, des plaisirs de la ville, et finit par se laisser entraîner au début de M. Auguste dans Buridan lequel s’effectue dans le chœur d’une église transformée en théâtre.

Le lendemain, notre homme s’éveille à son heure ; il a dormi pour deux nuits, de sorte que la Générale est déjà passée. Pourquoi ne pas reprendre Laffitte et Caillard, l’ayant pris la veille ? Il déjeune : Laffitte passe et n’a de place que dans le cabriolet.

— Vous avez encore la Berline du commerce, dit l’hôte désireux de garder un voyageur agréable.

La Berline arrive à quatre heures, remplie de compagnons tisseurs en voyage pour Lyon. C’est une voiture fort gaie : elle chante et fume tout le long de la route ; mais elle porte déjà deux couches superposées de voyageurs.

— Reste la Chalonaise.

— Qu’est-ce que cela ?

— C’est la doyenne des voitures de France. Elle ne part qu’à cinq heures ; vous avez le temps de dîner.

Ce raisonnement est séduisant ; je fais retenir ma place, et je m’assieds, deux heures après, dans le coupé, à côté du conducteur.

Cet homme est aimable ; il était de la table d’hôte et ne paraissait nullement pressé de partir. C’est qu’il connaissait trop sa voiture, lui !

— Conducteur, le pavé de la ville est bien mauvais !

— Oh ! monsieur, ne m’en parlez pas ! Ils sont un tas dans le conseil municipal qui ne s’y entendent pas plus… On leur a offert des chaussées anglaises, des macadam, des pavés de bois, des aigledons de pavés ; eh bien, ils aiment mieux les cailloux, les moellons ; tout ce qu’ils peuvent trouver pour faire sauter les voitures !