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VOYAGE EN ORIENT.

besoin sur le sol que d’une tente et d’un cheval, jouissant, du reste, de ses biens sans désir de les transmettre, sans espoir de les garder. Le voyageur qui passe rapidement croit rencontrer chez eux des traces, des germes de science, d’art, d’industrie : il se trompe. L’industrie des Turcs est celle des Arméniens, des Grecs, des juifs, des Syriens, sujets de l’empire ; les sciences viennent des Arabes ou des Persans, et les Turcs n’ont jamais rien su y ajouter. La littérature se borne à quelques documents diplomatiques, à quelques lourdes compilations historiques.

Les poésies mêmes, à part quelques pièces de poésie légère, ne sont guère que des traductions. L’architecture et l’ornementation, empruntées partie aux Byzantins et partie aux Arabes, n’ont pas même gagné à ce mélange un cachet particulier et original. Quant à la musique, elle est valaque, elle est grecque, quand elle est bonne ; les airs spécialement turcs ne se composent que de phrases mélodiques empruntées en différents temps à divers peuples, et assimilées à la fantaisie turque par un rhythme et une instrumentation barbares.

Revenons à la peinture, qui serait peut-être encore le plus plus beau titre des Turcs à l’estime des nations civilisées. Débarqué en Égypte avec le préjugé européen, qui ne suppose pas que les musulmans admettent la peinture d’aucun être vivant, je fus étonné d’abord de rencontrer dans les cafés des figures de léopard, peintes à fresque et assez bien imitées. Mon étonnement augmenta en entrant dans le palais de Méhémet-Ali, et en trouvant tout d’abord le portrait de son petit-fils accroché à la muraille, peint à l’huile, et rendu avec tout l’art de l’Europe ; ceci ne peut compter pour de la peinture orientale, mais il en reste démontré que rien chez les Turcs ne repousse absolument la représentation des figures. J’appris, depuis, qu’il existait à Constantinople une collection de tous les portraits des sultans, depuis Othman et Orkhan Ier. Aucun de ces souverains n’a manqué au désir de transmettre ses traits à la postérité ; ils sont tous peints à l’œuf sur carton fin, avec des légendes de quatre à cinq vers au verso de chaque pein-