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LES NUITS DU RAMAZAN.

probablement au delà du faubourg. Mon compagnon m’avait quitté pour aller dîner chez des Arméniens qui lui avaient commandé un tableau, et avait bien voulu m’indiquer un restaurant viennois situé dans le haut de Péra. À partir du couvent et de l’espace verdoyant qui s’étend de l’autre côté de la rue, on se trouve entièrement dans un quartier parisien. Des boutiques brillantes de marchandes de modes, de bijoutiers, de confiseurs et de lingers, des hôtels anglais et français, des cabinets de lecture et des cafés, voilà tout ce qu’on rencontre pendant un quart de lieue. Les consulats ont aussi, pour la plupart, leurs façades sur cette rue. On distingue surtout l’immense palais, entièrement bâti en pierre, de l’ambassade russe. Ce serait, au besoin, une forteresse redoutable qui commanderait les trois faubourgs de Péra, de Tophana et de Galata. Quant à l’ambassade française, elle est moins heureusement située, dans une rue qui descend vers Tophana ; et ce palais, qui a coûté plusieurs millions, n’est pas encore terminé.

En suivant la rue, on la voit plus loin s’élargir et l’on rencontre à gauche le théâtre italien, ouvert seulement deux fois par semaine. Ensuite viennent de belles maisons bourgeoises donnant sur des jardins, puis à droite les bâtiments de l’Université turque et des écoles spéciales ; puis encore plus loin, à gauche, l’hôpital français.

Le faubourg se termine au delà de ce point, et la route élargie se trouve encombrée de frituriers et de marchands de fruits, de pastèques et de poissons ; les guinguettes commencent à se montrer plus librement que dans la ville. Elles ont en général d’immenses proportions. C’est d’abord une salle vaste comme l’intérieur d’un théâtre, avec une galerie haute à balustres de bois tournés. Il y a d’un côté un comptoir où se distribuent les vins blancs et rouges dans des verres à anse que chaque buveur emporte à la table qu’il a choisie ; de l’autre, un immense fourneau chargé de ragoûts, qu’on vous distribue également dans une assiette qu’il faut emporter jusqu’à sa table. Dès lors, il faut s’habituer à manger sur ce petit meuble, qui ne monte