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VOYAGE EN ORIENT.

entré furtivement dans la maison pour attenter à son honneur.

Un attachement si incommode finit par mettre à bout la patience du jeune homme. Il abandonna son daguerréotype, et parvint à s’échapper par la fenêtre pendant que la dame dormait.

Le triste de l’aventure, c’est que ses amis de Péra, ne l’ayant pas vu pendant plus de trois jours, avaient averti la police. On avait obtenu quelques indications sur la scène qui s’était passée aux Eaux-Douces d’Asie. Des gens de la campagne avaient vu passer l’arabas, suivi de loin par l’artiste. La maison fut signalée, et la pauvre dame turque eût été tuée par la population fanatique pour avoir accueilli un giaour, si la police ne l’eût fait enlever secrètement. Elle en fut quitte pour cinquante coups de bâton, et la négresse pour vingt-cinq, la loi n’appliquant jamais à l’esclave que la moitié de la peine qui frappe une personne libre.

Cette anecdote peut donner une idée de la force des penchants chez des femmes dont la vie s’écoule séparée de la société des hommes, quoique sans réclusion positive. Peut-être aussi cette pauvre dame de Scutari était elle-même une dévote qui espérait obliger l’artiste à se faire mahométan pour pouvoir l’épouser. En général, la conduite des femmes turques est digne et réservée ; les bonnes fortunes dont se vantent les Européens se rapportant pour la plupart à une certaine classe de femmes peu estimée, qui, toujours les mêmes, profitent de la facilité que leur donne leur vêtement mystérieux pour se rendre chez quelques Européens, où les guident des revendeuses de toilette ou des esclaves corrompues. Presque toujours, c’est l’attrait seul de quelque parure — refusée par un époux vieux ou avare — qui les fait manquer à leur devoir. Le danger n’est alors que pour elles seules ; car on ne violerait pas le domicile d’un Européen, tandis qu’il risquerait de se faire écharper dans une maison turque.