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LES NUITS DU RAMAZAN.

cruelle à la curiosité des Francs. Les règlements de police qui leur ordonnent, le plus souvent possible, d’épaissir leurs voiles, de soustraire aux infidèles toute attitude extérieure qui pourrait avoir action sur les sens, leur inspirent une réserve qui ne céderait pas facilement devant une séduction ordinaire.

La chaleur du jour était en ce moment très-forte, et nous avions pris place sous un énorme platane entouré de divans rustiques. Nous essayâmes de dormir ; mais, pour des Français, le sommeil de midi est impossible. Le peintre, voyant que nous ne pouvions dormir, raconta une histoire.

C’étaient les aventures d’un autre de ses amis, qui était venu à Constantinople pour faire fortune, au moyen d’un daguerréotype.

Il cherchait les endroits où se trouvait la plus grande affluence, et vint un jour installer son instrument reproducteur sous les ombrages des Eaux-Douces.

Un enfant jouait sur le gazon : l’artiste eut le bonheur d’en fixer l’image parfaite sur une plaque ; puis, dans sa joie, de voir une épreuve si bien réussie, il l’exposa devant les curieux, qui ne manquent jamais dans ces occasions.

La mère s’approcha, par une curiosité bien naturelle, et s’étonna de voir son enfant si nettement reproduit. Elle croyait que c’était de la magie.

L’artiste ne connaissait pas la langue turque, de sorte qu’il ne comprit point, au premier abord, les compliments de la dame. Seulement, une négresse qui accompagnait cette dernière lui fit un signe. La dame avait monté dans un arabas et se rendait à Scutari.

Le peintre prit sous son bras la boite du daguerréotype, instrument qu’il n’est pas facile de porter, et se mit à suivre l’arabas pendant une lieue.

En arrivant aux premières maisons de Scutari, il vit de loin l’arabas s’arrêter et la femme descendre à un kiosque isolé qui donnait vers la mer.

La vieille lui fît signe de ne pas se montrer et d’attendre ;