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LES NUITS DU RAMAZAN.


XII — MACBÉNACH


Pendant la pause qui suivit ce récit, les auditeurs étaient agités par des idées contraires. Quelques-uns refusaient d’admettre la tradition suivie par le narrateur. Ils prétendaient que la reine de Saba avait eu réellement un fils de Soliman et non d’un autre. L’Abyssinien surtout se croyait outragé dans ses convictions religieuses par la supposition que ses souverains ne fussent que les descendants d’un ouvrier.

— Tu as menti, criait-il au rapsode. Le premier de nos rois d’Abyssinie s’appelait Ménilek, et il était bien véritablement fils de Soliman et de Belkis-Makéda. Son descendant règne encore sur nous à Gondar.

— Frère, dit un Persan, laisse-nous écouter jusqu’à la fin, sinon tu te feras jeter dehors comme cela est arrivé déjà l’autre nuit. Cette légende est orthodoxe à notre point de vue et, si ton petit prêtre Jean d’Abyssinie[1] tient à descendre de Soliman, nous lui accorderons que c’est par quelque noire Éthiopienne, et non par la reine Balkis, qui appartenait à notre couleur.

Le cafetier interrompit la réponse furieuse que se préparait à faire l’Abyssinien, et rétablit le calme avec peine.

Le conteur reprit :

Tandis que Soliman accueillait à sa maison des champs la princesse des Sabéens, un homme passant sur les hauteurs de Toria, regardait pensif le crépuscule qui s’éteignait dans les nuages, et les flambeaux qui s’allumaient comme des constellations étoilées, sous les ombrages de Mello. Il envoyait une pensée dernière à ses amours, et adressait ses adieux aux roches de Solime, aux rives du Cédron, qu’il ne devait plus revoir.

Le temps était bas, et le soleil, en pâlissant, avait vu la nuit

  1. Le roi actuel d’Abyssinie descend encore, dit-on, de la reine de Saba. Il est à la fois souverain et pape : on l’a toujours appelé le prêtre Jean. Ses sujets s’intitulent aujourd’hui chrétiens de saint Jean.