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LES NUITS DU RAMAZAN.

froide baignait la tempe et les joues pâles de Soliman ; son œil agrandi dévorait l’espace. La reine fit son entrée, accompagnée de ses principaux officiers et des gens de son service, qui se mêlèrent à ceux du roi.

Durant la soirée, le prince parut préoccupé ; Balkis se montra froide et presque ironique : elle savait Soliman épris. Le souper fut silencieux ; les regards du roi, furtifs ou détournés avec affectation, paraissaient fuir l’impression de ceux de la reine, qui, tour à tour abaissés ou soulevés par une flamme languissante et contenue, ranimaient en Soliman des illusions dont il voulait rester maître. Son air absorbé dénotait quelque dessein. Il était fils de Noé, et la princesse observa que, fidèle aux traditions du père de la vigne, il demandait au vin la résolution qui lui manquait. Les courtisans s’étant retirés, des muets remplacèrent les officiers du prince ; et, comme la reine était servie par ses gens, elle substitua aux Sabéens des Nubiens, à qui le langage hébraïque était inconnu.

— Madame, dit avec gravité Soliman-Ben-Daoud, une explication est nécessaire entre nous.

— Cher seigneur, vous allez au-devant de mon désir.

— J’avais pensé que, fidèle à la foi donnée, la princesse de Saba, plus qu’une femme, était une reine…

— Et c’est le contraire, interrompit vivement Balkis ; je suis plus qu’une reine, seigneur, je suis femme. Qui n’est sujet à l’erreur ? Je vous ai cru sage ; puis je vous ai cru amoureux… C’est moi qui subis le plus cruel mécompte.

Elle soupira.

— Vous le savez trop bien, que je vous aime, repartit Soliman ; sans quoi, vous n’auriez pas abusé de votre empire, ni foulé à vos pieds un cœur qui se révolte, à la fin.

— Je comptais vous faire les mêmes reproches. Ce n’est pas moi que vous aimez, seigneur, c’est la reine. Et, franchement, suis-je d’un âge à ambitionner un mariage de convenance ? Eh bien, oui, j’ai voulu sonder votre âme : plus délicate que la reine, la femme, écartant la raison d’État, a prétendu jouir de