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LES NUITS DU RAMAZAN.

Riche alliance… qui va certes régénérer le sang divin des Hémiarites !

La colère empourpra les joues de la jeune fille, d’autant plus que sa nourrice, Sarahil, ayant distribué les travaux aux suivantes de la reine, alignées et courbées sur le lavoir, avait entendu cette réponse, elle si opposée au projet de Soliman.

— Cette union n’a point l’assentiment d’Adoniram ? riposta Balkis avec un dédain affecté.

— Au contraire, et vous le voyez bien.

— Comment ?

— Si elle me déplaisait, j’aurais déjà détrôné Soliman, et vous le traiteriez comme vous m’avez traité ; vous n’y songeriez plus, car vous ne l’aimez pas.

— Qui vous le donne à croire ?

— Vous vous sentez supérieure à lui ; vous l’avez humilié ; il ne vous pardonnera pas, et l’aversion n’engendre pas l’amour.

— Tant d’audace…

— On ne craint… que ce que l’on aime.

La reine éprouva une terrible envie de se faire craindre.

La pensée des futurs ressentiments du roi des Hébreux, avec qui elle en avait usé si librement, l’avait jusque-là trouvée incrédule, et sa nourrice y avait épuisé son éloquence. Cette objection, maintenant, lui paraissait mieux fondée. Elle y revint en ces termes :

— Il ne me sied point d’écouter vos insinuations contre mon hôte, mon…

Adoniram l’interrompit.

— Reine, je n’aime pas les hommes, moi, et je les connais. Celui-là, je l’ai pratiqué pendant longues années. Sous la fourrure d’un agneau, c’est un tigre muselé par les prêtres et qui ronge doucement sa muselière. Jusqu’ici, il s’est borné à faire assassiner son frère Adonias : c’est peu !… mais il n’a pas d’autres parents.