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VOYAGE EN ORIENT.

maine indistincte, colossale, qui semble s’épaissir dans les flammes, s’assembler, puis se désunir et se confondre. Tout s’agite et flamboie à l’entour ; … elle seule se fixe, tour à tour obscure dans la vapeur lumineuse, ou claire et éclatante au sein d’un amas de fuligineuses vapeurs. Elle se dessine, cette figure, elle acquiert du relief, elle grandit encore en s’approchant, et Adoniram, épouvanté, se demande quel est ce bronze qui est doué de la vie.

Le fantôme s’avance. Adoniram le contemple avec stupeur. Son buste gigantesque est revêtu d’une dalmatique sans manches ; ses bras nus sont ornés d’anneaux de fer ; sa tête bronzée, qu’encadre une barbe carrée, tressée et frisée à plusieurs rangs,… sa tête est coiffée d’une mitre vermeille ; il tient à la main un marteau. Ses grands yeux, qui brillent, s’abaissent sur Adoniram avec douceur, et, d’un son de voix qui semble arraché aux entrailles du bronze :

— Réveille ton âme, dit-il ; lève-toi, mon fils !… Viens, suis-moi… J’ai vu les maux de ma race, et je l’ai prise en pitié…

— Esprit, qui donc es-tu ?

— L’ombre du père de tes pères, l’aïeul de ceux qui travaillent et qui souffrent. Viens ; quand ma main aura glissé sur ton front, tu respireras dans la flamme. Sois sans crainte, comme tu fus sans faiblesse…

Soudain, Adoniram se sentit enveloppé d’une chaleur pénétrante qui l’animait sans l’embraser ; l’air qu’il aspirait était plus subtil ; un ascendant invincible l’entraînait vers le brasier où déjà plongeait son mystérieux compagnon.

— Où suis-je ? Quel est ton nom ? Où m’entraînes-tu ? murmura-t-il.

— Au centre de la terre… dans l’âme du monde habité ; là s’élève le palais souterrain d’Hénoch, notre père, que l’Égypte appelle Hermès, que l’Arabie honore sous le nom d’Édris.

— Puissances immortelles ! s’écria Adoniram ; ô mon seigneur ! est-il donc vrai, vous seriez ?…