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VOYAGE EN ORIENT.

— Eh quoi ! s’écria Soliman, laisserez-vous ainsi votre humble esclave sans un mot, sans un espoir, sans un gage de votre compassion ? Cette union que j’ai rêvée, ce bonheur sans lequel je ne puis désormais plus vivre, cet amour ardent et soumis qui implore sa récompense, les foulerez-vous à vos pieds ?

Il avait saisi une main qu’on lui abandonnait en la retirant sans effort ; mais on résistait. Certes, Balkis avait songé plus d’une fois à cette alliance ; mais elle tenait à conserver sa liberté et son pouvoir. Elle insista donc pour se retirer, et Soliman se vit contraint de céder.

— Soit, dit-il, quittez-moi ; mais je mets deux conditions à votre retraite.

— Parlez.

— La nuit est douce et votre conversation plus douce encore. Vous m’accorderez bien une heure ?

— J’y consens.

— Secondement, vous n’emporterez avec vous, en sortant d’ici, rien qui m’appartienne.

— Accordé, et de grand cœur ! répondit Balkis en riant aux éclats.

— Riez, ma reine ! on a vu des gens très-riches céder aux tentations les plus bizarres…

— À merveille ! vous êtes ingénieux à sauver votre amour-propre. Point de feinte ; un traité de paix.

— Un armistice, je l’espère encore…

On reprit l’entretien, et Soliman s’étudia, en seigneur bien appris, à faire parler la reine autant qu’il put. Un jet d’eau, qui babillait aussi dans le fond de la salle, lui servait d’accompagnement.

Or, si trop parler cuit, c’est assurément quand on a mangé sans boire et fait honneur à un souper trop salé. La jolie reine de Saba mourait de soif ; elle eût donné une de ses provinces pour une patère d’eau vive.

Elle n’osait pourtant trahir ce souhait ardent. Et la fontaine