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VOYAGE EN ORIENT.

ractère grave, audacieux et dominateur de sa belle physionomie.

Il s’arrêta avec aisance et fierté, sans familiarité comme sans dédain, à quelques pas de Balkis, qui ne put recevoir les traits incisifs de ce regard d’aigle sans éprouver un sentiment de timidité confuse.

Mais elle triompha bien vite d’un embarras involontaire ; une réflexion rapide sur la condition de ce maître ouvrier, debout, les bras nus et la poitrine découverte, la rendit à elle-même ; elle sourit de son propre embarras, presque flattée de s’être sentie si jeune, et daigna parler à l’artisan. Il répondit, et sa voix frappa la reine comme l’écho d’un fugitif souvenir ; cependant, elle ne le connaissait point et ne l’avait jamais vu.

Telle est la puissance du génie, cette beauté des âmes ; les âmes s’y attachent et ne s’en peuvent distraire. L’entretien d’Adoniram fit oublier à la princesse des Subéens tout ce qui l’environnait ; et, tandis que l’artiste montrait en cheminant à petits pas les constructions entreprises, Balkis suivait à son insu l’impulsion donnée, comme le roi et les courtisans suivaient les traces de la divine princesse.

Cette dernière ne se lassait pas de questionner Adoniram sur ses œuvres, sur son pays, sur sa naissance.

— Madame, répondit-il avec un certain embarras et en fixant sur elle des regards perçants, j’ai parcouru bien des contrées ; ma patrie est partout où le soleil éclaire ; mes premières a années se sont écoulées le long de ces vastes pentes du Liban, d’où l’on découvre au loin Damas dans la plaine. La nature et aussi les hommes ont sculpté ces contrées montagneuses, hérissées de roches menaçantes et de ruines.

— Ce n’est point, fit observer la reine, dans ces déserts que l’on apprend les secrets des arts où vous excellez.

— C’est là du moins que la pensée s’élève, que l’imagination s’éveille, et qu’à force de méditer, l’on s’instruit à concevoir. Mon premier maître fut la solitude ; dans mes voyages, depuis,