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VOYAGE EN ORIENT.

peau d’hippopotame roulée. Cela s’adressait aux nobles ëpaules des inspecteurs, comme le bâton de ces derniers à l’omoplate des fellahs.

Le surveillant, me voyant, arrêté à regarder les pauvres jeunes filles qui pliaient sous les sacs de terre, m’adressa la parole en français. C’était encore un compatriote. Je n’eus pas trop l’idée de m’attendrir sur les coups de bâton distribués aux hommes, assez mollement du reste ; l’Afrique a d’autres idées que nous sur ce point.

— Mais pourquoi, dis-je, faire travailler ces femmes et ces enfants ?

— Ils ne sont pas forcés à cela, me dit l’inspecteur françaîs ; ce sont leurs pères ou leurs maris qui aiment mieux les faire travailler sous leurs yeux que de les laisser dans la ville. On les paye depuis vingt paras jusqu’à une piastre, selon leur force. Une piastre (vingt-cinq centimes) est généralement le prix de la journée d’un homme.

— Mais pourquoi y en a-t-il quelques-uns qui sont enchaînés ? Sont-ce des forçats ?

— Ce sont des fainéants ; ils aiment mieux passer leur temps à dormir ou à écouter des histoires dans les cafés que de se rendre utiles.

— Comment vivent-ils dans ce cas-là ?

— On vit de si peu de chose ici ! Âu besoin, ne trouvent-ils pas toujours des fruits ou des légumes à voler dans les champs ? Le gouvernement a bien de la peine à faire exécuter les travaux les plus nécessaires ; mais, quand il le faut absolument, on fait cerner un quartier ou barrer une rue par des troupes, on arrête les gens qui passent, on les attache et on nous les amène ; voilà tout.

— Quoi ! tout le monde sans exception ?

— Oh ! tout le monde ; cependant, une fois arrêtés, chacun s’explique. Les Turcs et les Francs se font reconnaître. Parmi les autres, ceux qui ont de l’argent se rachètent de la corvée ; plusieurs se recommandent de leurs maîtres ou patrons. Le