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VOYAGE EN ORIENT.

— Il y en a une qui me plaît beaucoup, mais je voudrais réfléchir : on ne s’enflamme pas tout d’un coup. Nous les reviendrons voir.

Les assistants auraient certainement voulu quelque réponse plus précise. La khatbé et le prêtre cophte me firent presser de prendre une décision. Je finis par me lever en promettant de revenir ; mais je sentais qu’on n’avait pas grande confiance.

Les deux jeunes filles étaient sorties pendant cette négociation. Quand je traversai la terrasse pour gagner l’escalier, celle que j’avais remarquée particulièrement semblait occupée à arranger des arbustes. Elle se releva en souriant, et, faisant tomber son tarbouch, elle secoua sur ses épaules de magnifiques tresses dorées, auxquelles le soleil donnait un vif reflet rougeâtre. Ce dernier effort d’une coquetterie, d’ailleurs bien légitime, triompha presque de ma prudence, et je fis dire à la famille que j’enverrais certainement des présents.

— Ma foi, dis-je en sortant au complaisant israélite, j’épouserais bien celle-là devant le Turc.

— La mère ne voudrait pas, elles tiennent au prêtre cophte. C’est une famille d’écrivains : le père est mort ; la jeune fille que vous avez préférée n’a encore été mariée qu’une fois, et pourtant elle a seize ans.

— Comment ! elle est veuve ?

— Non, divorcée.

— Oh ! mais cela change la question !

J’envoyai toujours une petite pièce d’étoffe comme présent.

L’aveugle et son fils se remirent en quête et me trouvèrent d’autres fiancées. C’étaient toujours à peu près les mêmes cérémonies, mais je prenais goût à cette revue du beau sexe cophte, et, moyennant quelques étoffes et menus bijoux, on ne se formalisait pas trop de mes incertitudes. Il y eut une mère qui amena sa fille dans mon logis : je crois bien que celle-là aurait volontiers célébré l’hymen devant le Turc ; mais, tout bien considéré, cette fille était d’âge à avoir été déjà épousée plus que de raison.