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LES FEMMES DU CAIRE.

qu’il s’agissait d’établir quelque part de manière à nous faire honneur. Après la rue que j’ai décrite, on rencontre un passage couvert en planches, où le commerce européen étale ses produits les plus brillants. C’est une sorte de bazar où se termine le quartier franc. Nous tournons à droite, puis à gauche, au milieu d’une foule toujours croissante ; nous suivons une longue rue très-régulière, qui offre à la curiosité, de loin en loin, des mosquées, des fontaines, un couvent de derviches, et tout un bazar de quincaillerie et de porcelaine anglaise. Puis, après mille détours, la voie devient plus silencieuse, plus poudreuse, plus déserte ; les mosquées tombent en ruine, les maisons s’écroulent çà et là, le bruit et le tumulte ne se reproduisent plus que sous la forme d’une bande de chiens criards, acharnés après nos ânes, et poursuivant surtout nos affreux vêtements noirs d’Europe. Heureusement, nous passons sous une porte, nous changeons de quartier, et ces animaux s’arrêtent en grognant aux limites extrêmes de leurs possessions. Toute la ville est partagée en cinquante-trois quartiers entourés de murailles, dont plusieurs appartiennent aux nations cophte, grecque, turque, juive et française. Les chiens eux-mêmes, qui pullulent en paix dans la ville sans appartenir à personne, reconnaissent ces divisions, et ne se hasarderaient pas au-delà sans danger. Une nouvelle escorte canine remplace bientôt celle qui nous a quittés, et nous conduit jusqu’aux casins situés sur le bord d’un canal qui traverse le Caire, et qu’on appelle le Calish.

Nous voici dans une espèce de faubourg séparé par le canal des principaux quartiers de la ville ; des cafés ou casinos nombreux bordent la rive intérieure, tandis que l’autre présente un assez large boulevard égayé de quelques palmiers poudreux. L’eau du canal est verte et quelque peu stagnante ; mais une longue suite de berceaux et de treillages festonnés de vignes et de lianes, servant d’arrière-salle aux cafés, présente un coup d’œil des plus riants, tandis que l’eau plate qui les cerne reflète avec amour les costumes bigarrés des fumeurs. Les flacons