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LES FEMMES DU CAIRE.

conduit à la porte de la ville correspondant aux allées de Schoubrah. Il y a un café en face, un peu plus loin une station d’âniers, qui louent leurs bêtes à raison d’une piastre l’heure ; plus loin encore, une petite mosquée accompagnée d’un minaret. Le premier soir que j’entendis la voix lente et sereine du muezzin, au coucher du soleil, je me sentis pris d’une indicible mélancolie.

— Qu’est-ce qu’il dit ? demandai-je au drogman.

La Alla ila Allah !… Il n’y a d’autre Dieu que Dieu !

— Je connais cette formule, mais ensuite ?

— « Ô vous qui allez dormir, recommandez vos âmes à Celui qui ne dort jamais ! »

Il est certain que le sommeil est une autre vie dont il faut tenir compte. Depuis mon arrivée au Caire, toutes les histoires des Mille et une Nuits me repassent par la tête, et je vois en rêve tous les dives et les géants déchaînés depuis Salomon. On rit beaucoup en France des démons qu’enfante le sommeil, et l’on n’y reconnaît que le produit de l’imagination exaltée ; mais cela en existe-t-il moins relativement à nous, et n’éprouvons-nous pas dans cet état toutes les sensations de la vie réelle ? Le sommeil est souvent lourd et pénible dans un air aussi chaud que celui d’Égypte, et le pacha, dit-on, a toujours un serviteur debout à son chevet pour l’éveiller chaque fois que ses mouvements ou son visage trahissent un sommeil agité. Mais ne suffit-il pas de se recommander simplement, avec ferveur et confiance… à Celui qui ne dort jamais !


IV — INCONVÉNIENTS DU CÉLIBAT


J’ai raconté plus haut l’histoire de ma première nuit, et l’on comprend que j’aie ensuite dû me réveiller un peu plus tard. Abdallah m’annonce la visite du cheik de mon quartier, lequel était venu déjà une fois dans la matinée. Ce bon vieillard à barbe blanche attendait mon réveil au café d’en face avec son secrétaire et le nègre portant sa pipe. Je ne m’étonnai pas de