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VOYAGE EN ORIENT.

femme, — l’un séparé de moi seulement par la tombe, l’autre à jamais perdue.

Mais pourquoi réunirais-je ici deux noms qui ne peuvent se rencontrer que dans mon souvenir, et pour des impressions toutes personnelles ! C’est en arrivant à Constantinople que j’ai reçu la nouvelle de la mort du consul général de France, dont je t’ai parlé déjà et qui m’avait si bien accueilli au Caire. C’était un homme connu de toute l’Europe savante, un diplomate et un érudit, ce qui se voit rarement ensemble. Il avait cru devoir prendre au sérieux un de ces postes consulaires qui, généralement, n’obligent personne à acquérir des connaissances spéciales.

En effet, selon les lois ordinaires de l’avancement diplomatique, un consul d’Alexandrie se trouve promu d’un jour à l’autre à la position de ministre plénipotentiaire au Brésil ; un chargé d’affaires de Canton devient consul général à Hambourg. Où est la nécessité d’apprendre la langue, d’étudier les mœurs d’un pays, d’y nouer des relations, de s’informer des débouchés qu’y pourrait trouver notre commerce ? Tout au plus pense-t-on à se préoccuper de la situation, du climat et des agréments de la résidence qu’on sollicite comme supérieure à celle qu’on occupe déjà.

Le consul, au moment où je l’ai rencontré au Caire, ne songeait qu’à des recherches d’antiquités égyptiennes. Un jour qu’il me parlait d’hypogées et de pyramides, je lui dis :

— Il ne faut pas tant s’occuper des tombeaux ?… Est-ce que vous sollicitez un consulat dans l’autre monde ?

Je ne croyais guère, en ce moment-là, dire quelque chose de cruel.

— Ne vous apercevez-vous pas, me répondit-il, de l’état où je suis ?… Je respire à peine. Cependant je voudrais bien voir les pyramides. C’est pour cela que je suis venu au Caire. Ma résidence à Alexandrie, au bord de la mer, était moins dangereuse… ; mais l’air qui nous entoure ici, imprégné de cendre et de poussière, me sera mortel.