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DRUSES ET MARONITES.

d’esprit que donne la convalescence, je me suis décidé à écrire au cheik druse pour dégager ma parole et lui rendre la sienne.


II

Galata.

Du pied de la tour de Galata, — ayant devant moi tout le panorama de Constantinople, de son Bosphore et de ses mers, — je tourne encore une fois mes regards vers l’Égypte, depuis longtemps disparue !

Au delà de l’horizon paisible qui m’entoure, sur cette terre d’Europe, musulmane, il est vrai, mais rappelant déjà la patrie, je sens toujours l’éblouissement de ce mirage lointain qui flamboie et poudroie dans mon souvenir… comme l’image du soleil qu’on a regardé fixement poursuit longtemps l’œil fatigué qui s’est replongé dans l’ombre.

Ce qui m’entoure ajoute à cette impression : un cimetière turc, à l’ombre des murs de Galata la Génoise. Derrière moi, une boutique de barbier arménien qui sert en même temps de café ; d’énormes chiens jaunes et rouges couchés au soleil dans l’herbe, couverts de plaies et de cicatrices résultant de leurs combats nocturnes. À ma gauche, un vénérable santon, coiffé de son bonnet de feutre, dormant de ce sommeil bienheureux qui est pour lui l’anticipation du paradis. En bas, c’est Tophana avec sa mosquée, sa fontaine et ses batteries de canon commandant l’entrée du détroit. De temps en temps, j’entends des psaumes de la liturgie grecque chantés sur un ton nasillard, et je vois passer sur la chaussée qui mène à Péra de longs cortèges funèbres conduits par des popes, qui portent au front des couronnes de forme impériale. Avec leur longue barbe, leur robe de soie semée de clinquant et leurs ornements de fausse orfèvrerie, ils semblent les fantômes des souverains du Bas-Empire.

Tout cela n’a rien de bien gai pour le moment. Rentrons dans le passé. Ce que je regrette aujourd’hui de l’Égypte, ce ne sont pas les oignons monstrueux dont les Hébreux pleuraient l’absence sur la terre de Chanaan. C’est un ami, c’est une