Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/422

Cette page a été validée par deux contributeurs.
410
VOYAGE EN ORIENT.

moins des populations syriennes se compose soit de chrétiens, soit de races disposées aux idées de réforme que font aujourd’hui prévaloir les musulmans éclairés. Il faudrait même ajouter à ce nombre une grande partie des Arabes du désert, qui, comme les Persans, appartiennent à la secte d’Ali.


V — LE DÎNER DU PACHA


La journée était avancée, et la fraicheur amenée par la brise maritime mettait fin au sommeil des gens de la ville. Nous sortîmes du café et je commençais à m’inquiéter du dîner ; mais les cavas, dont je ne comprenais qu’imparfaitement le baragouin plus turc qu’arabe, me répétaient toujours : Ti sabir ? comme des Levantins de Molière,

— Demandez-leur donc ce que je dois savoir, dis-je enfin au Marseillais.

— Ils disent qu’il est temps de retourner chez le pacha.

— Pour quoi faire ?

— Pour dîner avec lui.

— Ma foi, dis-je, je n’y complais plus ; le pacha ne m’avait pas invité.

— Du moment qu’il vous faisait accompagner, cela allait de soi-même.

— Mais, dans ces pays-ci, le dîner a lieu ordinairement vers midi.

— Non pas chez les Turcs, dont le repas principal se fait au coucher du soleil, après la prière.

Je pris congé du Marseillais et je retournai au kiosque du pacha. En traversant la plaine couverte d’herbes sauvages brûlées par le soleil, j’admirais l’emplacement de l’ancienne ville, si puissante et si magnifique, aujourd’hui réduite à cette langue de terre informe qui s’avance dans les flots et où se sont accumulés les débris de trois bombardements terribles depuis cinquante ans. On heurte à tout moment du pied dans la plaine des débris de bombes et des boulets dont le sol est criblé.