Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/412

Cette page a été validée par deux contributeurs.
400
VOYAGE EN ORIENT.

turques, pouvait me donner des conseils quant à la manière de me présenter, et je lui appris comment j’avais fait à Paris la connaissance de ce personnage.

— Pensez-vous qu’il me reconnaîtra ? lui dis-je.

— Eh ! sans doute, répondit-il ; seulement, il faut reprendre le costume européen ; sans cela, vous seriez obligé d’attendre votre tour d’audience, et il ne serait peut-être pas pour aujourd’hui.

Je suivis ce conseil, gardant toutefois le tarbouch, à cause de mes cheveux rasés à l’orientale.

— Je connais bien votre pacha, disait le Marseillais pendant que je changeais de costume. On l’appelle à Constantinople Guezluk, ce qui veut dire l’homme aux lunettes.

— C’est juste, lui dis-je, il portait des lunettes quand je l’ai connu.

— Eh bien, voyez ce que c’est chez les Turs : ce sobriquet est devenu son nom, et cela restera dans sa famille ; on appellera son fils Guezluk-Oglou, ainsi de tous ses descendants. La plupart des noms propres ont des origines semblables… Cela indique, d’ordinaire, que, l’homme s’étant élevé par son mérite, ses enfants acceptent l’héritage d’un surnom souvent ironique, car il rappelle ou un ridicule, ou un défaut corporel, ou l’idée d’un métier que le personnage exerçait avant son élévation.

— C’est encore, dis-je, un des principes de l’égalité musulmane. On s’honore par l’humilité. N’est-ce pas aussi un principe chrétien ?

— Écoutez, dit le Marseillais, puisque le pacha est votre ami, il faut que vous fassiez quelque chose pour moi. Dites-lui que j’ai à lui vendre une pendule à musique qui exécute tous les opéras italiens. Il y a dessus des oiseaux qui battent des ailes et qui chantent. C’est une petite merveille… Ils aiment cela, les Turs !

Nous ne tardâmes pas à être mis à terre, et j’en eus bientôt assez de parcourir des rues étroites et poudreuses en attendant