sonnage ne me rendirent pas insensible au plaisir de rencontrer un compatriote. Je me tournai donc de son côté, et je lui répondis quelques paroles auxquelles il répliqua avec volubilité.
— Non, monsieur, il n’y a rien à faire avec le Tur (Turc) ; c’est un peuple qui s’en va !… Monsieur, je fus ces temps derniers à Constantinople ; je me disais : « Où sont les Turs ?… » Il n’y en a plus !
Le paradoxe se réunissait à la prononciation pour signaler de plus en plus un enfant de la Cannebière. Seulement, ce mot Tur, qui revenait à tout moment, m’agaçait un peu.
— Vous allez loin ! lui répliquai-je ; j’ai moi-même vu déjà un assez bon nombre de Turcs…
J’affectais de dire ce mot en appuyant sur la désinence ; le Provençal n’acceptait pas cette leçon.
— Vous croyez que ce sont des Turs que vous avez vus ? disait-il en prononçant la syllabe d’une voix encore plus flutée ; ce ne sont pas de vrais Turs : j’entends le Tur Osmanli… tous les musulmans ne sont pas des Turs !
Après tout, un Méridional trouve sa prononciation excellente et celle d’un Parisien fort ridicule ; je m’habituais à celle de mon voisin mieux qu’à son paradoxe.
— Êtes-vous bien sûr, lui dis-je, que cela soit ainsi ?
— Eh ! monsieur, j’arrive de Constantinople ; ce sont tous là des Grecs, des Arméniens, des Italiens, des gens de Marseille. Tous les Turs que l’on peut trouver, on en fait des cadis, des ulémas, des pachas ; ou bien on les envoie en Europe pour les faire voir. Que voulez-vous ! tous leurs enfants meurent ; c’est une race qui s’en va !
— Mais, lui dis-je, ils savent encore assez bien garder leurs provinces, cependant.
— Eh ! monsieur, qu’est-ce qui les maintient ? C’est l’Europe, ce sont les gouvernements qui ne veulent rien changer à ce qui existe, qui craignent les révolutions, les guerres, et dont chacun veut empêcher que l’autre prenne la part la plus forte ; c’est pourquoi ils restent en échec à se regarder le