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VOYAGE EN ORIENT.

sent si naturellement entre voyageurs dans ces pays où l’on sent que la religion est tout.

— Au fond, lui disais-je, le Coran n’est qu’un résumé de l’Ancien et du Nouveau Testament rédigé en d’autres termes et augmenté de quelques prescriptions particulières au climat. Les musulmans honorent le Christ comme prophète, sinon comme dieu ; ils révèrent la Kadra Myriam (la Vierge Marie), et aussi nos anges, nos prophètes et nos saints ; d’où vient donc l’immense préjugé qui les sépare encore des chrétiens et qui rend toujours entre eux les relations mal assurées ?

— Je n’accepte pas cela pour ma croyance, disait le révérend, et je pense que les protestants et les Turcs finiront un jour par s’entendre. Il se formera quelque secte intermédiaire, une sorte de christianisme oriental…

— Ou d’islamisme anglican, lui dis-je. Mais pourquoi le catholicisme n’opérerait-il pas cette fusion ?

— C’est qu’aux yeux des Orientaux, les catholiques sont idolâtres. Vous avez beau leur expliquer que vous ne rendez pas un culte à la figure peinte ou sculptée, mais à la personne divine qu’elle représente ; que vous honorez, mais que vous n’adorez pas les anges et les saints : ils ne comprennent pas cette distinction. Et, d’ailleurs, quel peuple idolâtre a jamais adoré le bois ou le métal lui-même ? Vous êtes donc pour eux à la fois des idolâtres et des polythéistes, tandis que les diverses communions protestantes…

Notre discussion, que je résume ici, continuait encore après le déjeuner, et ces dernières paroles avaient frappé l’oreille d’un petit homme à l’œil vif, à la barbe noire, vêtu d’un caban grec dont le capuchon, relevé sur sa tête, dissimulait la coiffure, seul indice en Orient des conditions et des nationalités.

Nous ne restâmes pas longtemps dans l’indécision.

— Eh ! sainte Vierge ! s’écria-t-il, les protestants n’y feront pas plus que les autres. Les Turcs seront toujours les Turcs !

Il prononçait Turs.

L’interruption indiscrète et l’accent provençal de ce per-