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VOYAGE EN ORIENT.

— Rien de ce que je vous ai raconté, dit le cheik, ne s’éloigne des probabilités humaines. Je n’ai pas dit que Hakem eût fait des prodiges ; je n’ai analysé que les sensations de son âme, dont son prophète Hamza nous a transmis les mystères. Pour nous, Hakem est dieu ; vous avez le droit, vous autres chrétiens, de ne voir en lui qu’un insensé.

— Et son grand-père, était-il aussi un dieu ?

— Non ; mais il était, comme vous savez, grand cabaliste, et sa piété singulière le mettait en communication d’esprit avec Albar (nom céleste de Hakem). Albar lui dit un jour : « Le temps approche où je descendrai sur la terre ; alors, je paraîtrai sous forme d’homme et je participerai à toutes les misères de l’existence. Je naîtrai comme ton petit-fils et comme toi-même ; tu ne me connaîtras pas. » Or, Moëzzeldin eut deux petits-fils dont le premier naquit héritier du trône ; l’autre fut élevé comme un simple fellah dans le pays de Kelama (près de la province de Constantine). Moëzzeldin, fatigué du trône, parvint, grâce aux soins d’Avicenne, son médecin, à se faire passer pour mort. Il ignorait dans lequel de ses deux petits-fils était la divinité, et voulut les éprouver dans ces conditions diverses. Retiré dans un monastère de derviches, il assistait inconnu à toutes les actions du règne de Hakem, et, n’en comprenant pas les motifs (ô aveuglement des hommes !), il préparait en secret l’autre à le remplacer sur le trône. Ce fut, dit-on, lui-même qui arrangea le guet-apens du Mokattam. Les deux frères n’avaient été qu’étourdis par des coups de masse ; ils reprirent leurs sens dans le tombeau de leur famille, où l’aïeul apparut comme un fantôme et leur demanda compte de leur vie passée. Dans ce sépulcre, voisin des hypogées et des pyramides, Hakem semblait un pharaon jugé par des rois ses ancêtres. Il parla, il expliqua ses actions et ses doctrines. Son aïeul et son frère tombèrent à ses pieds et le reconnurent pour dieu. Mais Hakem ne voulut plus retourner au Caire. Il se rendit avec Moëzzeldin dans le désert d’Ammon et constitua sa doctrine, que son frère répandit plus tard sous le nom d’Hamza. Depuis, il se