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DRUSES ET MARONITES.

— À toi aussi la paix ! répondit Yousouf, qui ne voyait toujours dans son ami qu’un compagnon d’aventures et ne s’étonnait pas de l’avoir rencontré endormi sur la berge, comme font les enfants du Nil dans les nuits brûlantes de l’été.

Yousouf le fit monter dans la cange, et ils se laissèrent aller au courant du fleuve, le long du bord oriental. L’aube teignait déjà d’une bande rougeâtre la plaine voisine, et dessinait le profil des ruines encore existantes d’Héliopolis, au bord du désert. Hakem paraissait rêveur, et, examinant avec attention les traits de son compagnon que le jour accusait davantage, il lui trouvait avec lui-même une certaine ressemblance qu’il n’avait jamais remarquée jusque-là, car il l’avait toujours rencontré dans la nuit ou vu à travers les enivrements de l’orgie. Il ne pouvait plus douter que ce ne fût là le ferouer, le double, l’apparition de la veille, celui peut-être à qui l’on avait fait jouer le rôle de calife pendant son séjour au Moristan. Cette explication naturelle lui laissait encore un sujet d’étonnement.

— Nous nous ressemblons comme des frères, dit-il à Yousouf ; quelquefois, il suffit, pour justifier un semblable hasard, d’être issu des mêmes contrées. Quel est le lieu de ta naissance, ami ?

— Je suis né au pied de l’Atlas, à Kétama, dans le Maghreb, parmi les Berbères et les Kabyles. Je n’ai pas connu mon père, qui s’appelait Dawas, et qui fut tué dans un combat peu de temps après ma naissance ; mon aïeul, très-avancé en âge, était l’un des cheiks de ce pays perdu dans les sables.

— Mes aïeux sont aussi de ce pays, dit Hakem ; peut-être sommes-nous issus de la même tribu… Mais qu’importe ? notre amitié n’a pas besoin des liens du sang pour être durable et sincère. Raconte-moi pourquoi je ne t’ai pas vu depuis plusieurs jours.

— Que me demandes-tu ! dit Yousouf ; ces jours, ou plutôt ces nuits, car, les jours, je les consacrais au sommeil, ont passé comme des rêves délicieux et pleins de merveilles. Depuis que