Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/372

Cette page a été validée par deux contributeurs.
360
VOYAGE EN ORIENT.

indiquait les douze maisons des astres. Saturne, la planète de Hakem, était pâle et plombé, et Mars, qui a donné son nom à la ville du Caire, flambloyait de cet éclat sanglant qui annonce guerre et danger. Hakem descendit au premier étage de la tour, où se trouvait une table cabalistique établie par son grand-père Moëzzeldin. Au milieu d’un cercle autour duquel étaient écrits en chaldéen les noms de tous les pays de la terre, se trouvait la statue de bronze d’un cavalier armé d’une lance qu’il tenait droite ordinairement ; mais, quand un peuple ennemi marchait contre l’Égypte, le cavalier baissait sa lance en arrêt, et se tournait vers le pays d’où venait l’attaque. Hakem vit le cavalier tourné vers l’Arabie.

— Encore cette race des Abassides ! s’écria-t-il, ces fils dégénérés d’Omar, que nous avions écrasés dans leur capitale de Bagdad ! Mais que m’importent ces infidèles maintenant, j’ai en main la foudre !

En y songeant davantage, pourtant, il sentait bien qu’il était homme comme par le passé ; l’hallucination n’ajoutait plus à sa certitude d’être un dieu la confiance d’une force surhumaine.

— Allons, se dit-il, prendre les conseils de l’extase.

Et il alla s’enivrer de nouveau de cette pâte merveilleuse» qui peut-être est la même que l’ambroisie, nourriture des immortels.

Le fidèle Yousouf était arrivé déjà, regardant d’un œil rêveur l’eau du Nil, morne et plate, diminuée à un point qui annonçait toujours la sécheresse et la famine.

— Frère, lui dit Hakem, est-ce à tes amours que tu rêves ? Dis moi alors quelle est ta maîtresse, et, sur mon serment, tu l’auras.

— Le sais-je, hélas ! dit Yousouf. Depuis que le souffle du khamsin rend les nuits étouffantes, je ne rencontre plus sa cange dorée sur le Nil. Lui demander ce qu’elle est, l’oserais-je, même si je la revoyais ? J’arrive à croire parfois que tout cela n’était qu’une illusion de cette herbe perfide, qui attaque ma