Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.
296
VOYAGE EN ORIENT.

trarié en apprenant par Moussa que j’avais déjeuné chez le cheik chrétien.

— C’est moi qui suis le cheik véritable, dit-il, et j’ai le droit de donner l’hospitalité aux étrangers.

Moussa me dit alors que ce vieillard avait été, en effet, le cheik ou seigneur du village du temps de l’émir Béchir ; mais, comme il avait pris parti pour les Égyptiens, l’autorité turque ne voulait plus le reconnaître, et l’élection s’était portée sur un Maronite.


III — LE MANOIR


Nous remontâmes à cheval vers trois heures, et nous redescendîmes dans la vallée au fond de laquelle coule une petite rivière. En suivant son cours, qui se dirige vers la mer, et remontant ensuite au milieu des rochers et des pins, traversant çà et là des vallées fertiles plantées toujours de mûriers, d’oliviers et de cotonniers, entre lesquels on a semé le blé et l’orge, nous nous trouvâmes enfin sur le bord du Nahr-el Kelb, c’est-à-dire le fleuve du Chien, l’ancien Lycus, qui répand une eau rare entre les rochers rougeâtres et les buissons de lauriers. Ce fleuve, qui, dans l’été, est à peine une rivière, prend sa source aux cimes neigeuses du haut Liban, ainsi que tous les autres cours d’eau qui sillonnent parallèlement cette côte jusqu’à Antakieh, et qui vont se jeter dans la mer de Syrie. Les hautes terrasses du couvent d’Antoura s’élevaient à notre gauche, et les bâtiments semblaient tout près, quoique nous en fussions séparés par de profondes vallées. D’autres couvents grecs, maronites, ou appartenant aux lazaristes européens, apparaissaient, dominant de nombreux villages, et tout cela, qui, comme description, peut se rapporter simplement à la physionomie des Apennins ou des basses Alpes, est d’un effet de contraste prodigieux, quand on songe qu’on est en pays musulman, à quelques lieues du désert de Damas et des ruines poudreuses de Balbek. Ce qui fait aussi du Liban une petite Europe industrieuse, libre, intelligente surtout, c’est que là