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DRUSES ET MARONITES.

turc, qui, je suppose, exerçait une autorité momentanée par suite de l’occupation du village par les Albanais.

Je fus conduit dans une maison nouvellement décorée, en l’honneur sans doute de ce fonctionnaire, avec une belle natte des Indes couvrant le sol, un divan de tapisserie et des rideaux de soie. J’eus l’irrévérence d’entrer sans ôter ma chaussure, malgré les observations des valets turcs, que je ne comprenais pas. Le moudhir leur fit signe de se taire, et m’indiqua une place sur le divan sans se lever lui-même. Il fit apporter du café et des pipes, et m’adressa quelques mots de politesse en s’interrompant de temps en temps pour appliquer son cachet sur des carrés de papier que lui passait son secrétaire, assis, près de lui, sur un tabouret.

Ce moudhir était jeune et d’une mine assez fière. Il commença par me questionner, en mauvais italien, avec toutes les banalités d’usage, sur la vapeur, sur Napoléon et sur la découverte prochaine d’un moyen pour traverser les airs. Après l’avoir satisfait là-dessus, je crus pouvoir lui demander quelques détails sur les populations qui nous entouraient. Il paraissait très réservé à cet égard ; toutefois, il m’apprit que la querelle était venue, là comme sur plusieurs autres points, de ce que les Druses ne voulaient pas verser le tribut dans les mains des cheiks maronites, responsables envers le pacha. La même position existe d’une manière inverse dans les villages mixtes du pays des Druses. Je demandai au moudhir s’il y avait quelque difficulté à visiter l’autre partie du village.

— Allez où vous voudrez, dit-il ; tous ces gens là sont fort paisibles depuis que nous sommes chez eux. Autrement, il aurait fallu vous battre pour les uns ou pour les autres, pour la croix blanche ou pour la main blanche.

Ce sont les signes qui distinguent les drapeaux des Maronites et ceux des Druses, dont le fond est également rouge d’ailleurs.

Je pris congé de ce Turc, et, comme je savais que mes compagnons resteraient encore à Bethmérie pendant la plus grande chaleur du jour, je me dirigeai vers le quartier des