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VOYAGE EN ORIENT.

J’espérais être présenté aux dames, qui s’étaient retirées dans l’appartement ; mais le révérend garda sur ce point seul toute la réserve anglaise. Pendant que nous causions encore, un bruit de musique militaire retentit fortement à nos oreilles.

— Il y a, me dit l’Anglais, une réception chez le pacha. C’est une députation des cheiks maronites qui viennent lui faire leurs doléances. Ce sont des gens qui se plaignent toujours ; mais le pacha a l’oreille dure.

— On peut bien reconnaître cela à sa musique, dis-je ; je n’ai jamais entendu un pareil vacarme.

— C’est pourtant votre chant national qu’on exécute ; c’est la Marseillaise.

— Je ne m’en serais guère douté.

— Je le sais, moi, parce que j’entends cela tous les matins et tous les soirs, et que l’on m’a appris qu’ils croyaient exécuter cet air.

Avec plus d’attention, je parvins, en effet, à distinguer quelques notes perdues dans une foule d’agréments particuliers à la musique turque.

La ville paraissait décidément s’être réveillée, la brise maritime de trois heures agitait doucement les toiles tendues sur la terrasse de l’hôtel. Je saluai le révérend en le remerciant des façons polies qu’il avait montrées à mon égard, et qui ne sont rares chez les Anglais qu’à cause du préjugé social qui les met en garde contre tout inconnu. Il me semble qu’il y a là sinon une preuve d’égoïsme, au moins un manque de générosité.

Je fus étonné de n’avoir à payer en sortant de l’hôtel que dix piastres (deux francs cinquante centimes) pour la table d’hôte. Le signor Battista me prit à part et me fit un reproche amical de n’être pas venu demeurer dans son hôtel. Je lui montrai la pancarte annonçant qu’on n’y était admis que moyennant soixante piastres par jour, ce qui portait la dépense à dix-huit cents piastres par mois.

Ah ! corpo di me ! s’écria-t-il. Questo è per gli Inglesi,