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VOYAGE EN ORIENT.

barricadaient dans leurs maisons ; les soldats en faisaient autant dans leurs casernes, si bien qu’au bout d’une heure, les trois cents cavaliers regagnaient, chargés de butin, leurs retraites inattaquables du Liban.

Voilà ce qu’une ville risque à dormir en plein jour. Cependant, à Beyrouth, la colonie européenne ne se livre pas tout entière aux douceurs de la sieste. En marchant vers la droite, je distinguai bientôt un certain mouvement dans une rue ouverte sur la place ; une odeur pénétrante de friture révélait le voisinage d’une trattoria, et l’enseigne du célèbre Battista ne tarda pas à attirer mes yeux. Je connaissais trop les hôtels destinés, en Orient, aux voyageurs d’Europe pour avoir songé un instant à profiter de l’hospitalité du seigneur Battista, l’unique aubergiste franc de Beyrouth. Les Anglais ont gâté partout ces établissements, plus modestes d’ordinaire dans leur tenue que dans leurs prix. Je pensai dans ce moment-là qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à profiter de la table d’hôte, si l’on m’y voulait bien admettre. À tout hasard, je montai.


III — LA TABLE D’HÔTE


Au premier étage, je me vis sur une terrasse encaissée dans des bâtiments et dominée par les fenêtres intérieures. Un vaste tendido blanc et rouge protégeait une longue table servie à l’européenne, et dont presque toutes les chaises étaient renversées, pour marquer des places encore inoccupées. Sur la porte d’un cabinet situé au fond et de plain-pied avec la terrasse, je lus ces mots : Qui si paga sessenta piastre per giorno. (Ici l’on paye soixante piastres par jour.)

Quelques Anglais fumaient des cigares dans cette salle en attendant le coup de cloche. Bientôt deux femmes descendirent, et l’on se mit à table. Auprès de moi se trouvait un Anglais d’apparence grave, qui se faisait servir par un jeune homme à figure cuivrée portant un costume de basin blanc et des boucles d’oreilles d’argent. Je pensai que c’était quelque nabab