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VOYAGE EN ORIENT.

magnifiques chevaux. Nous ne tardâmes pas à faire connaissance, et le prince me proposa d’aller habiter quelques jours chez lui dans la montagne. J’acceptai bien vite une occasion si belle d’étudier les scènes qui s’y passaient et les mœurs de ces populations singulières.

Il fallait, pendant ce temps, placer convenablement l’esclave, que je ne pouvais songer à emmener. On m’indiqua dans Beyrouth une école de jeunes filles dirigée par une dame de Marseille, nommée madame Carlès. C’était la seule où l’on enseignât le français. Madame Carlés était une très-bonne femme, qui ne me demanda que trois piastres turques par jour pour l’entretien, la nourriture et l’instruction de l’esclave. Je devais partir pour la montagne trois jours après l’avoir placée dans cette maison ; déjà elle s’y était fort bien habituée et était charmée de causer avec les petites filles, que ses idées et ses récits amusaient beaucoup.

Madame Carlès me prit à part et me dit qu’elle ne désespérait pas d’amener sa conversion.

— Tenez, ajoutait-elle avec son accent provençal, voilà, moi, comment je m’y prends. Je lui dis : « Vois-tu, ma fille, tous les bons dieux de chaque pays, c’est toujours le bon Dieu. Mahomet est un homme qui avait bien du mérite… mais Jésus-Christ est bien bon aussi ! »

Cette façon tolérante et douce d’opérer une conversion me parut fort acceptable.

— Il ne faut la forcer en rien, lui dis-je.

— Soyez tranquille, reprit madame Carlès ; elle m’a déjà promis d’elle-même de venir à la messe avec moi dimanche prochain.

On comprend que je ne pouvais la laisser en de meilleures mains pour apprendre les principes de la religion chrétienne et le français… de Marseille.