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VI

LA MONTAGNE



I — LE PÈRE PLANCHET


Quand nous sortîmes de la quarantaine, je louai pour un mois un logement dans une maison de chrétiens maronites, à une demi-lieue de la ville. La plupart de ces demeures, situées au milieu des jardins, étagées sur toute la côte le long des terrasses plantées de mûriers, ont l’air de petits manoirs féodaux bâtis solidement en pierre brune, avec des ogives et des arceaux. Des escaliers extérieurs conduisent aux différents étages dont chacun a sa terrasse jusqu’à celle qui domine tout l’édifice, et où les familles se réunissent le soir pour jouir de la vue du golfe. Nos yeux rencontraient partout une verdure épaisse et lustrée, où les haies régulières des nopals marquent seules les divisions. Je m’abandonnai, les premiers jours, aux délices de cette fraîcheur et de cette ombre. Partout la vie et l’aisance autour de nous ; les femmes bien vêtues, belles et sans voiles, allant et venant, presque toujours avec de lourdes cruches qu’elles vont remplir aux citernes et portent gracieusement sur l’épaule. Notre hôtesse, coiffée d’une sorte de cône drapé en cachemire, qui, avec les tresses garnies de sequins de ses longs cheveux, lui donnait l’air d’une reine d’Assyrie, était tout simplement la femme d’un tailleur qui avait sa boutique au bazar de Beyrouth. Ses deux filles et les petits enfants se tenaient au premier étage ; nous occupions le second.

L’esclave s’était vite familiarisée avec cette famille, et, non-