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LES FEMMES DU CAIRE.

ne scandaliser personne, j’allai me promener sur le tillac de l’avant, épiant le lever des étoiles, et faisant aussi, moi, ma prière, qui est celle des rêveurs et des poètes, c’est-à-dire l’admiration de la nature et l’enthousiasme des souvenirs. Oui, je les admirais dans cet air d’Orient si pur qu’il rapproche les cieux de l’homme, ces astres dieux, formes diverses et sacrées que la Divinité a rejetées tour à tour comme les masques de l’éternelle Isis… Uranie, Astarté, Saturne, Jupiter, vous me représentez encore les transformations des humbles croyances de nos aïeux. Ceux qui, par millions, ont sillonné ces mers, prenaient sans doute le rayonnement pour la flamme et le trône pour le dieu ; mais qui n’adorerait dans les astres du ciel les preuves mêmes de l’éternelle puissance, et dans leur marche régulière l’action vigilante d’un esprit caché ?


VIII — LA MENACE


En retournant vers le capitaine, je vis, dans une encoignure au pied de la chaloupe, l’esclave et le vieux matelot hadji qui avaient repris leur entretien religieux malgré ma défense.

Pour cette fois, il n’y avait plus rien à ménager ; je tirai violemment l’esclave par le bras, et elle alla tomber, fort mollement il est vrai, sur un sac de riz.

Giaour ! s’écria-t-elle.

J’entendis parfaitement le mot. Il n’y avait pas à faiblir.

Enté giaour ! répliquai-je sans trop savoir si ce dernier mot se disait ainsi au féminin. C’est toi qui es une infidèle ; et lui, ajoutai-je en montrant le hadji, est un chien (kelb).

Je ne sais si la colère qui m’agitait était plutôt de me voir mépriser comme chrétien, ou de songer à l’ingratitude de cette femme, que j’avais toujours traitée comme une égale. Le hadji, s’entendant traiter de chien, avait fait un signe de menace, mais s’était retourné vers ses compagnons avec la lâcheté habituelle des Arabes de basse classe, qui, après tout, n’ose-