Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
LES FEMMES DU CAIRE.


VII — LE MATELOT HADJI.


L’Arménien m’était de quelque ressource dans les ennuis d’une telle traversée ; mais je voyais avec plaisir aussi que sa gaieté, son intarissable bavardage, ses narrations, ses remarques, donnaient à la pauvre Zeynab l’occasion, si chère aux femelles de ces pays, d’exprimer ses idées avec cette volubilité de consonnes nasales et gutturales où il m’était si difficile de saisir non pas seulement le sens, mais le son même des paroles.

Avec la magnanimité d’un Européen, je souffrais même sans difficulté que l’un ou l’autre des matelots qui pouvait se trouver assis près de nous, sur les sacs de riz, lui adressât quelques mots de conversation. En Orient, les gens du peuple sont généralement familiers, d’abord parce que le sentiment de l’égalité y est établi plus sincèrement que parmi nous, et puis parce qu’une sorte de politesse innée existe dans toutes les classes. Quant à l’éducation, elle est partout la même, très-sommaire, mais universelle. C’est ce qui fait que l’homme d’un humble état devient sans transition le favori d’un grand, et monte aux premiers rangs sans y paraître jamais déplacé.

Il y avait parmi nos matelots un certain Turc d’Anatolie, très-basané, à la barbe grisonnante, et qui causait avec l’esclave plus souvent et plus longuement que les autres ; je l’avais remarqué, et je demandai à l’Arménien ce qu’il pouvait dire ; il fit attention à quelques paroles, et me dit :

— Ils parlent ensemble de religion.

Cela me parut fort respectable, d’autant que c’était cet homme qui faisait pour les autres, en qualité de hadji ou pèlerin revenu de la Mecque, la prière du matin et du soir. Je n’avais pas songé un instant à gêner dans ses pratiques habituelles cette pauvre femme, dont une fantaisie, hélas ! bien peu coûteuse, avait mis le sort dans mes mains. Seulement, au Caire, dans un moment où elle était un peu malade, j’avais