Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/233

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
LES FEMMES DU CAIRE.

cuivre d’un demi-pied de longueur. Le manche de cet instrument oriental contient l’encre, et le fourreau contient les roseaux qui servent de plumes (calam). De loin, cela peut passer pour un poignard ; mais c’est l’insigne pacifique du simple lettré.

Je me sentis tout d’un coup plein de bienveillance pour ce confrère, et j’avais quelque honte de l’attirail guerrier qui, au contraire, dissimulait ma profession.

— Est-ce que vous habitez dans ce pays ? dis-je à l’inconnu.

— Non, monsieur ; je suis venu avec vous de Damiette.

— Comment, avec moi ?

— Oui, les bateliers m’ont reçu dans la cange et m’ont amené jusqu’ici. J’aurais voulu me présenter à vous ; mais vous étiez couché.

— C’est très-bien, dis-je ; et où allez-vous comme cela ?

— Je vais vous demander la permission de passer aussi sur la djerme, pour gagner le vaisseau où vous allez vous embarquer.

— Je n’y vois pas d’inconvénient, dis-je en me tournant du côté du janissaire.

Mais ce dernier me prit à part.

— Je ne vous conseille pas, me dit il, d’emmener ce garçon. Vous serez obligé de payer son passage, car il n’a rien que son écritoire ; c’est un de ces vagabonds qui écrivent des vers et autres sottises. Il s’est présenté au consul, qui n’en a pas pu tirer autre chose.

— Mon cher, dis-je à l’inconnu, je serais charmé de vous rendre service, mais j’ai à peine ce qu’il me faut pour arriver à Beyrouth et y attendre de l’argent.

— C’est bien, me dit-il, je puis vivre ici quelques jours chez les fellahs. J’attendrai qu’il passe un Anglais.

Ce mot me laissa un remords. Je m’étais éloigné avec le janissaire, qui me guidait à travers les terres inondées en me faisant suivre un chemin tracé çà et là sur les dunes de sable