Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
LES FEMMES DU CAIRE.

Le consul donna des ordres au janissaire, et je pus obtenir pour eux du pain, du vin et des poules, seuls objets de consommation qui soient supposés ne pouvoir transmette la peste. La pauvre esclave se désolait dans la cabine ; je l’en fis sortir pour la présenter au consul.

En me voyant revenir avec elle, ce dernier fronça le sourcil.

— Est-ce que vous voulez emmener cette femme en France ? me dit le chancelier.

— Peut-être, si elle consent et si je puis ; en attendant, nous partons pour Beyrouth.

— Vous savez qu’une fois en France, elle est libre ?

— Je la regarde comme libre dès à présent.

— Savez-vous aussi que, si elle s’ennuie en France, vous serez obligé de la faire revenir en Égypte à vos frais ?

— Mais j’ignorais cela !

— Vous ferez bien d’y songer. Il vaudrait mieux la revendre ici.

— Dans une ville où est la peste ? Ce serait peu généreux !

— Enfin, c’est votre affaire, dit le chancelier.

Il expliqua le tout au consul, qui finit par sourire et qui voulut présenter l’esclave à sa femme. En attendant, on nous fit passer dans la salle à manger, dont le centre était occupé par une grande table ronde. Ici commença une cérémonie nouvelle.

Le consul m’indiqua un bout de la table où je devais m’asseoir ; il prit place à l’autre bout avec son chancelier et un petit garçon, son fils sans doute, qu’il alla chercher dans la chambre des femmes. Le janissaire se tenait debout à droite de la table pour bien marquer la séparation.

Je pensais qu’on inviterait aussi la pauvre Zeynab ; mais elle s’était assise, les jambes croisées, sur une natte, avec la plus parfaite indifférence, comme si elle se trouvait encore au bazar. Elle croyait peut-être au fond que je l’avais amenée là pour la revendre.

Le chancelier prit la parole et me dit que notre consul était