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V

LA CANGE



I — PRÉPARATIFS DE NAVIGATION


La cange qui m’emportait vers Damiette contenait tout le ménage que j’avais amassé au Caire pendant huit mois de séjour, savoir : l’esclave au teint doré vendue par Abd-el-Kérim ; le coffre vert qui renfermait les effets que ce dernier lui avait laissés ; un autre coffre garni de ceux que j’y avais ajoutés moi-même ; un autre encore contenant mes habits de Franc, dernier en cas de mauvaise fortune, comme ce vêtement de pâtre qu’un empereur avait conservé pour se rappeler sa condition première ; puis tous les ustensiles et objets mobiliers dont il avait fallu garnir mon domicile du quartier cophte, lesquels consistaient en gargoulettes et bardaques propres à rafraîchir l’eau, pipes et narghilés, matelas de coton et cages (rafas) en bâtons de palmier servant tour à tour de divan, de lit et de table, et qui avaient de plus pour le voyage l’avantage de pouvoir contenir les volatiles divers de la basse-cour et du colombier.

Avant de partir, j’étais allé prendre congé de madame Bonhomme, cette blonde et charmante providence du voyageur.

— Hélas ! disais-je, je ne verrai plus de longtemps que des visages de couleur ; je vais braver la peste qui règne dans le delta d’Égypte, les orages du golfe de Syrie qu’il faudra traverser sur de frêles barques ; sa vue sera pour moi le dernier sourire de la patrie !