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LES FEMMES DU CAIRE.

d’un marché aux grains, et qu’on prétend devoir être une mosquée. Ce sera une mosquée en effet, comme la Madeleine est une église : les architectes modernes ont toujours la précaution de bâtir à Dieu des demeures qui puissent servir à autre chose quand on ne croira plus en lui.

Cependant le gouvernement paraissait avoir célébré l’arrivée du Mahmil à la satisfaction générale ; le pacha et sa famille avaient reçu respectueusement la robe du prophète rapportée de la Mecque, l’eau sacrée du puits de Zemzem et antres ingrédients du pèlerinage ; on avait montré la robe au peuple à la porte d’une petite mosquée située derrière le palais, et déjà l’illumination de la ville produisait un effet magnifique du haut de la plate-forme. Les grands édifices ravivaient au loin, par des illuminations, leurs lignes d’architecture perdues dans l’ombre ; des chapelets de lumières ceignaient les dômes des mosquées, et les minarets revêtaient de nouveau des colliers lumineux que j’avais remarqués déjà ; des versets du Coran brillaient sur le front des édifices, tracés partout en verres de couleur. Je me hâtai, après avoir admiré ce spectacle, de gagner la place de l’Esbekieh, où se passait la plus belle partie de la fête.

Les quartiers voisins resplendissaient de l’éclat des boutiques ; les pâtissiers, les frituriers et les marchands de fruits avaient envahi tous les rez de-chaussée ; les confiseurs étalaient des merveilles de sucrerie sous forme d’édifices, d’animaux et autres fantaisies. Les pyramides et les girandoles de lumières éclairaient tout comme en plein jour ; de plus, on promenait sur des cordes tendues de distance en distance de petits vaisseaux illuminés, souvenir peut-être des fêtes Isiaques, conservé comme tant d’autres par le bon peuple égyptien. Les pèlerins, vêtus de blanc pour la plupart et plus hâlés que les gens du Caire, recevaient partout une hospitalité fraternelle. C’est au midi de la place, dans la partie qui touche au quartier franc, qu’avaient lieu les principales réjouissances ; des tentes étaient élevées partout, non-seulement pour les cafés,